Hélène Laberge, http://www.simplicitevolontaire.org
Ceux qui s'intéressent au développement durable, à l'environnement, à l'alimentation et à la santé ne pourront que se réjouir de découvrir ou de redécouvrir les Hunzas grâce à ce texte d'Hélène Laberge, qui est la refonte d'un court article paru dans le numéro 13 de la revue Critère, en 1975. Le docteur McCarrison ne s'est pas contenté de décrire les Hunzas comme une race «unsurpassed in perfection of physique and in freedom from disease in general», il a dressé la liste des maladies dont ils étaient exempts; cancer, ulcère gastrique ou duodénal, appendicite, colique.
À la mémoire du Dr Henri F. Ellenberger, auteur d’une Histoire de la psychiatrie considérée comme l’étude la plus achevée dans ce domaine, auquel nous devons de nous avoir mis le premier sur la piste de cette Vallée des Immortels.
La vallée des Hunza, cette enclave jadis inaccessible au pied des pics rocheux du Karakoram, est apparue aux premiers explorateurs éblouis comme une représentation mythique du Paradis terrestre, un Shangri-la, l’incarnation par tout un peuple du rapport idéal de l’être humain avec la nature. «Le peuple hunza a été obligé d’adopter un type d’agriculture plus près du jardinage que de l’exploitation agricole avec comme résultat des récoltes de fruits et de légumes d’une qualité telle qu’aucune autre forme de culture ne saurait obtenir. C’est la récompense qu’ils reçoivent pour la façon dont ils retournent intégralement au sol tout ce qu’ils en ont tiré. Les Hunzakuts traitent leurs terres comme un cadeau particulier de Dieu qu’il faut chérir et préserver en lui donnant les soins nécessaires. Cela suppose évidemment un labeur quotidien qui est aussi une source de joie et dont les dividendes sont une nourriture excellente, une longévité incroyable, une santé parfaite et une vie remplie.» (1)
Il ne faut pas confondre le Karakoram, massif montagneux du Cachemire, avec l’Himalaya. Les explorateurs des Hunzas les situent souvent dans l’Himalaya. En fait, les pics rocheux du Karakoram, parmi les plus élevés du monde (jusqu’à 8000 mètres) s’élèvent entre l’Himalaya et l’Indus (fleuve de l’Asie méridionale qui s’étend sur 3040 kms) et à proximité de l’Hindou Kouch, une chaîne de montagnes au nord de l’Afghanistan. Située à une altitude variant de 1,600 à 2,400 mètres, aux confins de l'URSS, de la Chine, de l'Afghanistan, du Pakistan et de l'Inde, la vallée s’étend sur une distance de 160 kms environ. Près de 25,000 Hunzas y vivent, 35,000 si on englobe leurs voisins, les Nagirs, implantés sur l’autre versant de la vallée.
Une tradition orale attribue l'origine des Hunzakuts (nom qu’ils préfèrent à celui de Hunza) à trois soldats d'Alexandre le Grand qui auraient épousé des femmes perses, il y a près de 2000 ans. Les Hunzas sont grands, ils ont la peau claire et l'aspect physique des anciens Grecs. Ils ont été à la fois nomades et sédentaires. Guerriers redoutés, ils utilisaient comme armes l'arc et le sabre. Les caravanes qui devaient emprunter les pistes passant sur leur territoire payaient des redevances au Mir (roi des Hunzas) pour assurer leur sécurité. Ce brigandage prit fin lorsqu'en 1891 les Hunzas passèrent sous la domination des Britanniques.(Ils appartiennent à l’heure actuelle au Pakistan.)
«Ils sont unis comme des flèches dans un carquois». Les Girkis ont été tellement frappés par cette cohésion sociale des Bouroushos qu’ils ont appelé Hunza, flèche en bouroushaki, toute la vallée où habite ce peuple. Les Hunzakuts étaient auparavant appelés «Bouroushos» à cause de leur langue, le bouroushaski, qu'ils sont les seuls à parler, avec leurs voisins les Nagirs qui, par ailleurs, ne leur ressemblent pas. Leur langue intrigue les linguistes, car elle ne se rattache pas aux langues indo-européennes que parlent les peuplades avoisinantes. L'hypothèse la moins invraisemblable est celle qui la rattache aux langues caucasiennes. Mais on soutient également qu'elle aurait des ressemblances avec la langue basque. Quoi qu'il en soit, c'est d’après les connaisseurs, une langue d'une richesse luxuriante, aux nuances infinies.
C’est par leur mode de vie entièrement autarcique que les Hunzakuts ont le plus attiré l’attention de leurs visiteurs. Dans cette vallée montagneuse, à force de charroyer au cours des siècles des pierres et de la terre, ils ont aménagé des jardins en terrasses et pour les arroser, un prodigieux système de canalisation de pierre qui leur permet de recueillir les eaux de fonte des glaciers. Ces tranchées amènent directement l’eau à chaque jardin. Une loi très stricte règle l’utilisation de cette eau: c’est seulement à certaines périodes bien définies que chaque propriétaire peut arroser son jardin et il gère le flot grâce à une pierre qu’il déplace selon ses besoins. Les Hunzas savent par expérience qu’il ne faut pas noyer le sol sous peine de le priver de ses nutriments et ils surveillent scrupuleusement la quantité d’eau qu’il peut absorber. Plus haut dans la montagne, ils ont aussi creusé une citerne qui leur sert de réserve en cas de disette. De longues périodes de temps nuageux peuvent causer une disette d’eau en suspendant l’effet du soleil sur la fonte des glaciers. Il tombe en moyenne 5 cm d’eau par année dans cette vallée qui est orientée de telle façon qu’elle est fortement exposée au soleil; par contre, selon les témoignages recueillis par John H. Tobe (2), on observe depuis des décennies une fonte plus importante des glaciers. Ces eaux ont une très grande richesse minéralogique et les savants qui se sont intéressés à la longévité exceptionnelle de ce peuple considèrent qu’elles sont l’un des éléments importants, non seulement de la régénération des sols, mais aussi de la santé des Hunzas qui la boivent. Tobe la décrit comme étant trouble et d’une couleur indéfinissable, en raison de la quantité de minéraux qu’elle contient. Le même Tobe avait toutefois remarqué que, lors des repas pris chez le Mir, on servait aux visiteurs une eau limpide provenant d’une source mais que le Mir lui-même ne buvait que l’eau des glaciers. Outre leur eau, la nourriture que consomment les Hunzakuts a fait l’objet de nombreuses recherches. Ils vivent en totale et parfaite autarcie et tirent toute leur subsistance de leurs produits agricoles, de leurs animaux et de quelques plantes sauvages. Ils cultivent principalement les arbres fruitiers dont les fameux abricotiers qui assurent la base de leur alimentation. Également, les pommiers, les poiriers, les noyers ainsi que quelques vignes. Ils sèment des céréales: sarrasin, orge, mil et luzerne mais surtout le blé, avec lequel ils fabriquent le pain sans levain, le chappati. Comme ils ne font pas de réserves de farine, les grains qu’ils utilisent sont moulus sur pierre au jour le jour. Tobe a aussi visité des moulins à farine plus importants, destinés à tous les habitants d’un village. Les résidus servent à nourrir les animaux et à fertiliser les sols. Quant à leurs légumes, ils sont analogues aux nôtres: carotte, chou épinard, chou-fleur, pois, tomate, radis, pomme de terre, navet, haricot, oignon, citrouille, melon. Un autre trait important, c'est que leurs arbres fruitiers sont exempts de maladies et d'insectes et que, par conséquent, bon an, mal an, les fermiers sont assurés d'une production sinon toujours abondante du moins constante. Les abricots forment l’essentiel de la nourriture des Hunzas (voir leur alimentation); les voyageurs ont tous décrit leur émerveillement devant ces terrasses où les fruits mis à sécher au soleil forment de grandes nappes de couleur orangée. Ils font aussi de l'élevage: ils ont surtout des vaches, des chèvres et des yaks. Le lait de ces animaux est converti en beurre, un beurre qui ressemble plutôt à un fromage qui a la particularité de se conserver pendant des mois, sinon des années, grâce à un procédé de conservation rustique et efficace: enveloppé d’écorces de bouleaux, il est réfrigéré dans les eaux froides en provenance des glaciers. Ils clarifient également ce beurre à qui ils donnent le nom de ghee en le chauffant un peu et le consomment sur leurs chappatis. Leurs terres ne sont pas assez abondantes pour leur permettre un élevage intensif. Ils consomment donc peu de viande, et seulement au cours de leur hiver rigoureux. Le régime autarcique des Hunzas ne se limite pas à leur alimentation. Ils tirent tous les produits nécessaires à leur subsistance de leur environnement. Ils tissent la laine des moutons et celle des yaks, très recherchée pour sa finesse et sa solidité, et font des étoffes d'une grande variété de couleurs et des tapis qui ont la réputation de durer cinquante ans! Ils pratiquent aussi tous les métiers: ils sont menuisiers, forgerons, cordonniers; ils fabriquent des chaussures parfaitement adaptées aux pistes de montagnes et au climat à partir des peaux de leurs animaux, dont toutes les parties sont utilisées. Dans le passé, même les cornes des yaks leur servaient à creuser le sol.
Les jardins des Hunzas, on l’a vu, ont été créés de toutes pièces au fil des siècles. Étant donné leur surface limitée, c’est seulement par une gestion constante et rigoureuse et surtout par une conformité aux exigences de la nature qu’ils ont pu éviter d’épuiser le sol. L’expérience leur a appris qu’il faut rendre rigoureusement à la terre ce qui lui appartient et ce qu’on a tiré d’elle. Ils sont desservis par l’impossibilité d’accroître les surfaces cultivables mais bien servis par la qualité minéralogique des eaux en provenance des glaciers. Ils pratiquent la rotation des cultures et engraissent le sol avec le fumier de leurs bêtes. Ils savent que où que ce soit dans l’univers, c’est la santé du sol qui fait la santé des humains. Tobe a observé que les Hunzas font des kilomètres à la recherche de plantes ou d’herbe pour nourrir leurs animaux; toute matière organique trouvée au cours de leurs périples est épandue dans leurs champs. Contrairement aux usages des Occidentaux, ils ne font pas de tas de fumier mais l’épandent entre les récoltes. Quant au fumier humain, dont on sait qu’il est largement utilisé dans divers pays orientaux, les Hunzas pour leur part le gardent dans une fosse soigneusement recouverte et ne le retournent dans la terre qu’après un an ou deux.
Aucune étude ne pourra sans doute jamais établir la preuve de l’influence de la beauté d’un paysage ou d’un lieu sur l’équilibre psychologique et physiologique des individus. Et pourtant, il est incontestable que la magnificence des montagnes qui surplombent la vallée des Hunzas est un élément essentiel de leur identité et de la santé qui en découle. Le père de l’écologie contemporaine, René Dubos, considérait cette imprégnation par la beauté comme un élément aussi fondateur de leur santé que leur alimentation… Toutes leurs maisons jouissent de la vue la plus sublime qui soit, de l’avis de tous les visiteurs et explorateurs, celle de la montagne Rakaposhi d’une hauteur de 25 mille pieds (8 mille mètres), l’un des multiples pics de ce Toit du monde. John H. Tobe nous la présente ainsi: «Se détachant sur un fond de ciel bleu, elle semblait un bijou précieux dans un écrin magnifique. J’ai alors compris pourquoi les humains qui ont eu le privilège de la voir la considèrent comme la plus belle des montagnes du monde, la plus majestueuse, la plus éblouissante dans sa blancheur éclatante; je ne connais aucune autre montagne qui puisse rivaliser avec elle.»
Venons-en à leur alimentation, qui passionne ceux qui les approchent. Elle a plus ou moins influencé les nutritionnistes en Occident, car tout en étant frugale et pratiquement dénuée de protéines animales, elle nourrit depuis des siècles un peuple que certains médecins n'hésitent pas à décrire comme «libre de maladie». Cette alimentation ne prend son sens que si on la situe dans l’ensemble de leur vie, qui est soumise étroitement aux rythmes de la nature et aux rites de leur religion. Ils sont musulmans de la secte d’Ismaël, et leur conception de cette religion est réaliste et étrangère aux excès du fondamentalisme. La prière du lever, qui a lieu pour les Musulmans vers 4 heures du matin, n’est pas obligatoire; seuls les plus fervents se rendent à la mosquée. Mais tous travaillent au champ dès l’aurore. Les enfants accompagnent les parents et sont initiés dès leur jeune âge au travail de la terre. Les repas sont peu abondants et fréquents. Le déjeuner consiste en un bol d’abricots frais ou bouillis avec des céréales et accompagné de chappatis. Vers 10 heures, même régime auquel s’ajoutent des légumes frais ou bouillis. Le chef de famille a droit à 2 chappatis, les autres membres de la famille à un seul. Entre 13 heures et 14 heures, autre repas constitué cette fois d’abricots secs attendris dans de l’eau l’hiver, ou d’abricots frais l’été. Et enfin, entre 17 et 19 heures, un repas plus substantiel comprend, outre les chappatis, des légumes et en saison, des fruits variés, prunes, pêches, poires, pommes ou abricots frais. Ils tirent des amandes de l'abricot une huile qu'ils utilisent de nombreuses façons, pour frire certains mets, s’éclairer, protéger leur peau et leurs cheveux, etc. Ils ne consomment pratiquement pas de viande, sauf pendant le mois de décembre, au cours duquel ils tuent un ou deux moutons. C'est pendant ce mois d'hiver qu'ils boivent, bien que musulmans, un vin fabriqué à partir des mûres, une tradition qui se perd dans la nuit des temps.
C’est un pain plat sans levain fait le plus souvent de blé ou d’un mélange des autres grains cultivés et dont les Hunzas font la mouture au moment même de le fabriquer. La céréale est ensuite pétrie avec de l’eau, roulée en mince galette et à peine cuite. Ils les servent avec du beurre fondu, le ghee et ces chappatis sont délicieux, de l’avis de ceux qui les ont goûtés.
Aux États-Unis, les Américains, tous âges confondus, consomment en moyenne 3,300 calories par jour, comprenant entre autres 100 grammes de protéines, 157 grammes de gras et 300 grammes d’hydrates de carbone. Chez les Hunzas, d’après les études faites par des médecins pakistanais, les adultes mâles consomment environ 1900 calories par jour, soit 50 grammes de protéines, 36 grammes de gras et 354 grammes d’hydrates de carbone. Les protéines et le gras sont essentiellement d’origine végétale. Les hydrates de carbone qu’ils consomment proviennent des fruits, des légumes et des céréales. En Amérique, le sucre blanc et la farine raffinée sont les principales sources des hydrates de carbone. (Dr Alexander Leaf, National Geographic, janvier 1973.)
McCarrison (3), chirurgien à Gilgit de 1904 à 1911, fut à ce point frappé par l'alimentation des Hunzakuts et par leur extraordinaire condition physique qu'il se livra en 1927 à l'expérience suivante: il prit des rats albinos et leur donna un régime alimentaire correspondant au régime habituel des Hunzas. Ce régime comprenait le pain complet déjà décrit, des carottes crues fraîches, du chou cru frais, des légumineuses, du lait cru et une minime portion de viande avec des os une fois par semaine seulement, de l'eau en abondance tant pour boire que pour se laver. Résultat: la maladie fut vaincue. Les rats s'étaient «hunzarisés». Il ne subsista aucune maladie véritable si ce n'est, occasionnellement, des vers. À un second groupe de rats, McCarrison administra le régime de peuplades pauvres du Bengale et de Madras: du riz, des légumes, des condiments, un peu de lait. De nombreuses maladies se développèrent dans tous les organes, excepté le foie et le cerveau. Enfin, un troisième groupe absorba le régime des classes pauvres d'Angleterre, pain blanc, margarine, thé sucré, légumes bouillis, viandes de conserve, confitures de nième ordre. Les rats furent atteints de ce que McCarrison appela «rat neurasthenia»: ils étaient malheureux ensemble et, au bout de 16 jours, ils tuèrent et mangèrent les plus faibles d'entre eux.
Le docteur McCarrison (4) ne s'est pas contenté de décrire les Hunzas comme une race «unsurpassed in perfection of physique and in freedom from disease in general», il a dressé la liste des maladies dont ils étaient exempts; cancer, ulcère gastrique ou duodénal, appendicite, colique. Il a remarqué qu'ils n'ont pas de sensibilité de l'abdomen aux impressions des nerfs, à la fatigue, à l'anxiété, au froid. Ils ont, poursuit-il, «une santé abdominale parfaite contrastant avec celle de nos colonies hautement civilisées.» Cinquante ans plus tard, en 1960, Tobe, en visite chez les Hunzas, compléta cette liste d'après le témoignage d'un autre médecin, allemand cette fois, qui déclara n'avoir relevé aucun cas de pierre à la vésicule, de calculs rénaux, de maladies coronariennes, d'hypertension, de lésions valvulaires, de déficience mentale, de polio, d'arthrite, d'obésité, de diabète et d'insuffisance thyroïdienne. Tobe déclare aussi n’avoir jamais rencontré une personne handicapée dans les villages visités. Enfin, le Dr Alexander Leaf, en examinant quelques vieillards, a toutefois remarqué la présence d'infarctus du myocarde et de toutes sortes de maladies cardio-vasculaires mais qui étaient restées inaperçues du patient. Ce portrait idyllique de la santé des Hunzakuts est-il un portrait embelli? Est-il exact qu’ils soient exempts de toutes les maladies? Les visiteurs récents redoutent pour eux le contact avec le monde extérieur dont ils étaient préservés jusqu’à maintenant par leur situation géographique et … leur forte identité. D’après leurs témoignages, les Hunzas restent pour le moment fidèles à leur alimentation, mais ils ont remplacé l'huile d'abricot par de la margarine et le sel brut par du sel raffiné qu'ils importent. Depuis ce changement, on constate chez les jeunes des cas de carie dentaire et surtout de goître. Il semble qu'en remplaçant le sel brut fourni par les minerais de la montagne et contenant des sels minéraux divers, les Hunzas se sont privés d'une source d'iode qui les avait maintenus jusque-là à l'abri des maladies thyroïdiennes. Ce sel provenait d’une région, le Shimshal, où les Hunzas le recueillaient depuis des centaines d’années. Mais à son état naturel, il contenait beaucoup d’impuretés et était moins savoureux que le sel raffiné. Si pour le moment les Hunzas sont exempts des maladies attribuées à la civilisation, ils sont sujets à des infections de la peau, des fièvres, et de la dysenterie, cette dernière étant peut-être attribuable, suggère Tobe, à la présence des minéraux contenus dans l’eau qu’ils consomment, mais sans qu’il ait pu le vérifier. Ils ne sont pas exempts non plus de la mortalité infantile. Ils souffrent vers la fin de leur vie de troubles pulmonaires, particulièrement les femmes âgées, et de maladies oculaires causées dans leurs maisons par la fumée des feux ouverts qui s’échappent par des trous de forme carrée dans leur toit, car ils ignorent les feux fermés. Par contre, des oculistes ont constaté que les Hunzakuts qu’ils ont pu examiner jouissent tous d’une vision parfaite.
Les Hunzakuts sont renommés pour leur longévité. Faute d’archives, il n'est pratiquement pas possible de dénombrer la quantité exacte de vieillards et leur âge. En revanche, dans un des villages où il a passé plusieurs semaines, Tobe a dénombré 12 hommes de plus de cent ans et 100 de plus de quatre-vingt-dix. Ces vieillards ont une vie sexuelle active bien au-delà de 75 ans comme en font foi les enfants issus de remariages tardifs. Ils mènent une vie normale, s'occupant de leurs cultures et parcourant de longues distances sur leurs pistes de montagne. On a attribué la santé et la longévité des Hunzakuts à leur alimentation et à la richesse minérale de leur eau. Mais dans l’étude passionnante qu’il leur consacre, Tobe qui a de la santé une conception toute hippocratique, à savoir que la santé est le résultat d'un harmonieux équilibre de vie, a aussi porté une extrême attention à tous les autres facteurs de l'existence des Hunzas, au climat, à l'altitude, à l'agilité et à l'endurance qu'ils ont dû développer pour survivre dans ce pays où la concentration de montagnes est la plus importante du monde. Il a, quant à lui, été fasciné autant par la souplesse de leur démarche que par leur résistance à l’effort: «ils détiennent, écrit-il, le secret de marcher sans perdre d’énergie de sorte que quelle que soit la distance parcourue et l’altitude où ils se trouvent, ils ne sentent pas le besoin de faire des haltes. Leur démarche est aisée, gracieuse, agile; leur corps est parfaitement droit; ils tiennent la tête haute et maintiennent cette attitude où qu’ils soient. On ne les voit jamais s’affaler par terre ou s’avachir.» Ils ont un sens exceptionnel d’équilibre. L’absence de vertige se manifeste très tôt chez les enfants. Les Hunzas utilisent pour traverser leur rivière ou des précipices d'une grande profondeur ces ponts de corde propres aux pays montagneux. Même les femmes traversent ces ponts extrêmement instables (une terrible épreuve pour les explorateurs étranegrs qui s’y sont aventurés), en portant un enfant dans leurs bras, avec une légèreté et une aisance impressionnantes. Il faut souligner que les enfants sont habitués très tôt à circuler pieds nus. Les témoignages sur l’endurance des Hunzas de tous âges abondent. Jean et Franc Shor (5), reporters au National Geographic Magazine, citent le cas qui n’est pas exceptionnel, disent-ils, d'un Bourousho de 78 ans qu'ils ont vu parcourir 65 milles en 24 heures sur des pistes de montagne très périlleuses. En d’autres circonstances, Franc Shor a participé à une chasse aux moutons qui a conduit les chasseurs à 15,000 pieds d'altitude sur des sentiers abrupts où ils se déplaçaient trois fois plus vite que lui et sans montrer la moindre trace de fatigue. Enfin, lorsque des Hunzas se trouvent parmi les porteurs au cours d’une expédition, ils se démarquent des autres par leur extraordinaire endurance et le rythme rapide de leur ascension.
En ce qui a trait aux femmes, Tobe a recueilli des témoignages prouvant qu'elles accouchent avec beaucoup de facilité. Elles s’abstiennent de tout travail dur pendant les premiers temps de la grossesse mais reprennent un rythme de travail constant au champ avec le reste de la famille jusqu'à l'accouchement, car une croyance populaire veut que plus la femme enceinte travaille fort, mieux se déroule l'accouchement et en meilleure santé se trouve le nouveau-né. La mère retourne travailler la terre peu de temps après l’accouchement. Les enfants sont nourris au sein pendant près de trois ans, s’il s’agit de garçons, deux ans si c’est une fille.
À l’époque où il était le chef religieux et politique des Hunzakuts, le Mir fit remarquer à des visiteurs occidentaux (les Shor) qu'il avait eu très peur lorsqu'un Hunza avait cru découvrir une mine d'or. Comme ils s'étonnaient de cette réaction, le Mir poursuivit: «C'eût été la fin des Hunzas et de leur way of life. On nous laisse tranquilles parce que nous ne possédons rien qui fasse envie aux autres. Si nous étions riches, n'importe quel pays trouverait un prétexte pour nous envahir afin de nous protéger.» Il faut savoir que ce peuple ne connaît aucune des structures qui semblent aller de soi dans les autres pays: il n’existe aucune forme d’administration; pas d’impôt à payer, pas de système de santé, pas d’assurance, pas d’argent. Qu’en est-il depuis que les Hunzas sont maintenant administrés par le gouvernement du Pakistan de l’Ouest? Les jeunes Hunzakuts quittent leur région pour s’engager dans l’armée pakistanaise. Alors que dans les années 1960, les étrangers n’étaient admis à visiter la vallée que par une invitation personnelle du Mir, les restrictions ont été adoucies; avec la construction de la route Karakoram, les Occidentaux ont maintenant accès aux villages hunzas. Et la résidence du Mir disparu a été convertie en hôtel. Ils avaient été jusqu’à tout récemment gouvernés par ce Mir, sorte de roi dont la dynastie remontait à six cents ans. Maintenant décédé, ce Mir avec qui Tobe avait lié amitié, était assisté d'un Conseil d'Anciens composé de douze personnes, dont la moitié était recrutée parmi les vieillards du royaume, ce qui représentait une moyenne d'âge de 80 ans et plus. Chaque tribu hunza, au nombre de cinq, était gouvernée par un maire en communication constante avec le Mir. En cas de litige grave, c'était le Mir qui servait de juge et il pouvait soit rendre son verdict seul, ou consulter ses conseillers dont le jugement était alors définitif. De son côté, la femme du Mir rencontrait chaque jour un groupe de femmes pour discuter des problèmes de la population féminine. Le fils du Mir a toutefois confié à un visiteur récent que les Hunzakuts ne se considèrent pas comme faisant partie du Pakistan. La principale richesse des Hunzas étant la terre, une loi stipule qu'elle ne peut être transmise qu'au fils. Par contre, la fille peut hériter d'autres biens et recevoir en dot un arbre fruitier du verger de ses parents. Cet arbre lui appartient toute sa vie: elle l'entretient et en cueille les fruits. Bien que les Hunzas soient de religion musulmane, leurs femmes ne sont pas voilées. Elles sont libres d'aller et venir et ont part aux décisions du ménage au même titre que leur mari. Les parents choisissent le conjoint dans une des tribus hunzas (les mariages entre proches sont interdits) mais l'enfant a le droit de s'opposer à leur choix. Le divorce est rarissime.
En 1934, pour célébrer le centenaire de sa dynastie en Inde, l’Aga Khan a doté le peuple hunza de son système scolaire actuel. Cela fait des Hunzakuts un peuple aussi éduqué, sinon plus, que leurs voisins du Pakistan ou de l’Inde. Les écoles sont gratuites et ouvertes aux filles aussi bien qu'aux garçons.
Nous ne pouvons que citer Tobe à ce sujet: «Les Hunzakuts ont de magnifiques dispositions. Ils sont spirituels, souriants et pleins de gaieté. Ils ont un profond respect pour l’autorité (celle du Mir), un amour profond de leur terre, de l’affection, de la compassion et de la compréhension à l’égard de leurs voisins et sont d’une grande hospitalité à l’égard des étrangers. Ils gardent la tête haute, sont forts, honnêtes et rompus au travail. J’ai appris à leur contact que les humains peuvent vivre et que la culture du sol peut très bien réussir sans chimie, fertilisants chimiques, médicaments et médecine synthétiques.» En fait, et pour résumer, ils étaient jusqu’à tout récemment à l’abri du système technicien qui a envahi dans le reste du monde tous les domaines de la vie humaine.
Les Chinois et les Pakistanais ont construit il y a une vingtaine d’années une route, le «Karakoram Highway», qui s'étend depuis la province de Sin-Kiang jusqu'à Gilgit, donc au cœur de la Vallée des Hunzas, à travers le Pakistan Nord. Cette route devait devenir une des artères commerciales les plus importantes d'Asie. Qu’en est-il réellement? Elle permet maintenant d’accéder plus facilement au pays des Hunzas mais elle est constamment détruite en certaines de ses parties par les éboulements de pierres; une équipe permanente la répare. On dit aussi de cette route que chaque mille arraché à la montagne a coûté une vie humaine. On peut à l’heure actuelle se rendre en autobus de Gilgit jusqu’à Baltit, la minuscule capitale du pays hunza.
Les Hunzakuts habitent dans des maisons de deux étages et qui ont conservé «l'atrium» de la tradition antique. Ils vivent au rez-de-chaussée l'hiver. Le 21 mars, toute la population déménage au premier où se trouve un balcon. Un proverbe hunza dit: «Mieux vaut une maison sans toit qu'une maison sans balcon», car ce balcon est orienté vers les paysages grandioses des pics rocheux du Karakoram et particulièrement sur le magnifique Karakoshi. L'été, les Hunzas vivent dans la cour. Ces maisons, dont une partie bien isolée sert d'abri pour les animaux, sont cependant libres de toute vermine. Chacune possède une espèce d'entrepôt qui sert à la conservation des fruits et des légumes. Une petite partie des provisions de chaque famille est mise en réserve pour les membres de la communauté locale qui manqueraient de nourriture avant la fin de l'hiver. Notons que la chose se produit fréquemment et que les Hunzakuts connaissent «le printemps de la faim», une espèce de carême imposé par la nécessité; d'où le strict dosage de la nourriture tout au cours de l'année. C’est le pays du just enough comme le faisait remarquer en 1960 le Mir à John H.Tobe. Enfin, les lieux d'aisance sont décrits comme étant d'une propreté remarquable. Et l'eau potable en provenance des glaciers est conservée dans des citernes recouvertes.
Les Hunzas ont (ou avaient ? nous n’avons pas trouvé de données récentes à ce sujet) quelques fêtes d'une haute qualité artistique. Ces fêtes suivent le cycle des saisons et ont lieu à l'époque des semailles, festival de Bopfau, et de la récolte du seigle, festival de Genani. La fête de Bopfau a lieu le 6 février: à l’époque du Mir, ce dernier inaugurait alors la saison des labours en ensemençant lui-même trois sillons d'un champ avec des grains d'orge que les autres fermiers s'appropriaient ensuite pour les mélanger aux leurs. Ce rite assurait, croyaient-ils, la fertilité du sol. La danse des sabres, à laquelle ne participent que les hommes, a été décrite comme un spectacle très haut en couleurs. Mais c’est le jeu de polo qu’ils ont adopté sous la domination anglaise qui donne lieu aux rassemblements les plus marquants. «Le polo est une passion dans nos régions, disait au journaliste Stanley Stewart le fils de l’ancien Mir revenu vivre dans son pays d’origine après une carrière dans l’armée pakistanaise. C’est un substitut à la guerre.» Tobe en donnait une description dans les années 1960 qui correspond tout à fait à celle du journaliste Stanley Stewart (6): «Dans ce pays, les règles du polo sont réduites au minimum et le jeu ressemble rapidement à une bataille médiévale où la balle est pour le moins oubliée! Dans un nuage de poussière et de chevaux, les cavaliers se chargent les uns les autres en brandissant leurs bâtons comme des lances. Occasionnellement, ils font demi-tour et galopent à toute allure vers la foule dont les spectateurs s’éparpillent. Les chevaux sont les héros des jeux, couverts de sueur, ils galopent d’un bout à l’autre du champ et à une allure telle que par comparaison le polo anglais ressemble à une excursion de poneys pour enfants. Les musiciens font un tintamarre inaudible avec des flûtes glapissantes et des tambours tonitruants. La musique, soulignent les vieux, est destinée à soutenir l’intérêt des chevaux…» Le journaliste a ensuite été témoin des effets de la victoire d’un des clubs: «les musiciens se ruèrent alors dans le champ de polo en jouant sauvagement de leurs instruments, les gagnants se mirent à danser en cercle comme des supporters de football complètement ivres et les policiers se mirent à charger la foule en délire pour montrer leur participation à la fête! Et pendant que tout le monde était occupé à fêter, les magnifiques chevaux complètement oubliés s’engagèrent dans les rues conduisant à leurs étables, sur la pointe de leurs sabots.» Faut-il ajouter foi à ce commentaire de Robert Harris Brevig: «Il est hélas douteux que le monde puisse avoir la possibilité de tirer bénéfice de l’exemple des Hunzas avant qu’ils ne succombent sous l’influence polluante dont ils seront la proie au fur et à mesure qu’ils seront absorbés par notre monde» Leur isolement préservera-t-il leur humble et splendide paradis? C’est l’espoir exprimé par le fils du Mir à Stanley Stewart: «J’ai grandi ici et il me semblait alors que nous vivions au fond d’un puits profond dont je désirais m’échapper. Mais après avoir connu autre chose, ma perception a changé. Notre isolement n’est pas une privation. C’est une sorte de liberté. Nous n’avons pas à nous inquiéter du reste du monde.» Et peut-être aussi les Hunzakuts seront-ils sauvés par cette joie de vivre qui avait tant frappé Tobe et qu’il décrivait ainsi: «Tout compte fait, qu’est-ce donc qui distingue les Hunzas qu’est ce qui les rend si différents de nous Occidentaux? La chose la plus simple mais aussi la plus fondamentale que j’ai découverte, c’est qu’ils trouvent leur joie et leur bonheur dans le simple fait de vivre, d’être en vie. Vivre, c’est essentiellement pour eux la plus grandiose, la plus importante et la plus fascinante des aventures de ce monde.»
(1) Robert Harris Brevig, Beyond our Consent. A History of Secret Power, Deception and Abandonment of Freedom in America, chapitre 3: «In Search of Ideal». (2) John H. Tobe, Hunza. Adventures in a Land of Paradise, George J. McLeod, Limited. Publishers and publishers representatives , Toronto, (Ontario) 1960. Ce livre remarquable a été écrit dans une langue très vivante par un observateur canadien, à la fois rigoureux et dénué de préjugés, qui s’était lié d’amitié avec le Mir de l’époque. (3) Dr Robert McCarrison, A Revolution in Outlook. The transference to Experimental Science. (4) Sir Robert McCarrison, Studies of Deficiency Disease. Oxford Medical Publications, Hodder and Stonghton, London. (5) Jean et Franc Shor, «At World's End in Hunza,» National Geographic Magazine, vol. 104, no 4, octobre 1953. (6) Stanley Stewart, A kind of Freedom in Paradise.