Exploration de la culture algonquine avec T8aminik (Québec)

août 2014

Introduction

Ce voyage au Québec m'a permis d'initier avec Éric Bonnem, qui dirige l’agence Tamera, avec laquelle je collabore depuis 2003, un tour du monde du chamanisme mondial, qui devrait durer sept ans, à raison d’un voyage par an.

Un cycle qui a pour objectif d’explorer les différentes pratiques des médecins traditionnels et de comprendre les liens qui existent entre leurs pratiques, qui souvent mettent en porte-à-faux notre rationalité occidentale, avec les hypothèses et les théories de la psychanalyse transgénérationnelle.

La psychanalyse transgénérationnelle

La psychanalyse transgénérationnelle met l'individu en chasse de ses secrets de famille, de sa généalogie complète, et de son histoire familiale remise dans ses différents contextes.

Le fantôme désigne un élément psychique resté secret dans la psyché et qui se transmet dans les générations successives sous forme de symptômes, de dysfonctionnements, de maux, de maladies ou d’accidents.

Le but du praticien travaillant sur le transgénérationnel, sera d’aider son client à identifier ses fantômes.

La transmission des fantômes

La transmission des fantômes se fait par l’action de l’activité mentale originaire et la duplication inconsciente des structures mentales des parents.

En savoir plus …

Chamanisme et psychanalyse

Dans leurs options thérapeutiques, le chamanisme et la psychanalyse s’associent aisément dans la mesure où ils préconisent, tous deux, une exploration des structures prés-verbales de l’esprit qui sont celles de l’enfant d’avant trois ans.

La psychanalyse (« classique ») explore habituellement cette dimension la plus profonde ou la plus inconsciente des structures mentales par les rêves et leur analyse. Les structures pré-verbales de l’esprit sont essentiellement constituées d’images et de sensations.

La psychanalyse transgénérationnelle et le chamanisme sont complémentaires. Dans ce sens, les pratiques chamaniques traditionnelles s’associent à la psychanalyse dans la mesure où la « transe » et le « voyage chamanique » sont tout d’abord des plongées dans ces strates de l’esprit qu’est l’univers des sensations et des images mentales. L’étude de l’activité mentale originaire implique donc de se donner un modèle de l’appareil psychique qui tienne compte de ce qui les caractérise, c’est-à-dire de la place inhabituelle et néanmoins centrale qu’y occupent, non pas les mots, car l’esprit s’exprime à travers un système de représentations constitué non seulement de mots, mais aussi d’images et de sensations.

Le chamanisme est aussi un outil très efficace dans la recherche transgénérationnelle car dans ce domaine, il dispose de théories qui sont celles de toutes les traditions anciennes.

Le chamanisme est donc en mesure d’éclairer et de prolonger la recherche psychanalytique, qui n’a, elle, commencé à considérer l’esprit sous cet angle que depuis une trentaine d’années, puisqu’il dispose d’un savoir qui concerne non seulement la santé des vivants, mais également celle des «ancêtres mal morts »

Le voyage

Douze participants se sont lancés pour cette première exploration du mode de vie ancestral, des traditions, de la médecine et de la philosophie amérindienne, guidés par le chef spirituel T8aminik.

Dès l'âge de 7 ans, Grand-Père T8aminik (de son vrai nom Kapiteotak) fut désigné comme apprenti homme-médecine et successeur de son père à titre de chef héréditaire. Au bout de 50 années d'enseignements et d'initiations, il est à son tour devenu un « aîné » pleinement reconnu par ses pairs et se consacre désormais au rôle d'enseignant et de leader spirituel auquel on le destinait. Survivant de la terrible époque des Pensionnats indiens, il a confié ses mémoires à la journaliste Marie-Josée Tardif. Dans ce livre intitulé « On nous appelait les Sauvages », il livre un vibrant témoignage sur le pardon et la réconciliation. En 2013, il fonde avec Marie-Josée Tardif l'organisme à but non lucratif Kina8at, pour la promotion de la culture et la guérison des peuples autochtones.

L'arrivée à Val-des-Lacs

Après notre arrivée à Montréal, deux jours ont été nécessaire pour préparer notre expédition dans le nord canadien.

Ce séjour à Val-des-Lacs nous a permis de recevoir les premiers enseignements de T8aminik et de Marie-Josée Tardif sur la philosophie amérindienne et la spiritualité algonquine mais aussi de nous initier à l’utilisation des canoés et aux techniques locales de survie en forêt.

En direction de la forêt profonde

Une journée complète de liaison à été nécessaire pour rejoindre les territoires ancestraux du chef T8aminik et la réserve de Pikogan au bord de la rivière Harricana.

Pikogan

Pikogan est une réserve Amérindienne algonquine de la province de Québec bordée par la rivière Harricana et enclavée dans la ville d'Amos. Située dans la municipalité régionale du comté d'Abitibi, de la région administrative Abitibi-Témiscamingue, la réserve fut constituée en 1956 sous le nom de Village-Pikogan. En 1964, plusieurs résidents vivaient encore dans des tentes, expliquant ainsi l'origine du nom qui signifie tente de peau ou tipi en langue algonquine.

Nous sommes arrivés en fin de journée au bord de la rivière Harricana , où un camp de tipis nous attendait pour le premier bivouac du voyage.

La rivière Harricana

La rivière Harricana est un fleuve dans la région de l'Abitibi-Témiscamingue, au Québec, et la deuxième plus longue voie navigable au Canada (170 km de voie navigable)

En tant qu'affluent de la baie James, et donc de la baie d'Hudson, la rivière Harricana et son bassin sont la propriété de la Compagnie de la Baie d'Hudson jusqu'à l'achat par le Canada en 1869. Le territoire est officiellement annexé à la province de Québec en 1898 et les efforts de colonisation peuvent commencer.

En 1906, Henry O'Sullivan explore les bords de l'Harricana et en 1908, les premiers camps s'établissent sur les berges de la rivière à la hauteur des rapides. Il s'agit de camps d'approvisionnement pour la construction d'un chemin de fer transcontinental. Quelques années plus tard, en 1910, les premiers colons arrivent et fondent la ville d'Amos en 1912 à l'endroit où le chemin de fer croise la rivière.

Autrefois se faisait de la drave (Flottage du bois) sur l'Harricana, et la rivière servait aussi à faire le transport de ressources jusqu'à Val-d'Or (bois, dynamite, main d'œuvre), là où les mines commençaient à ouvrir. Il fut un temps où la rivière foisonnait d'embarcations, un vrai petit port en pleine forêt boréale.

Le nom d'origine de la rivière Harricana est "Nanikana". Mais les missionnaires de l'époque apprenaient la langue algonquine au son et déformèrent ce mot pour en faire le mot "Harricana". L'expression algonquine Nanikana prend tout son sens lorsqu'on nous explique qu'elle signifie "La voie principale".

Installation du premier camp de base au bord de la rivière Harricana

Le temps n’est pas de la partie: le vent, la pluie glaciale et la rivière agitée compromettent notre départ en canoé.

Pendant que le groupe s’installe dans de confortables cabanes de chasseurs, une équipe part à la recherche d’un lieu propice à l’établissement du camp de base dans la forêt, plus loin sur la rivière.

Après une navigation chahutée et glaciale nous découvrons l’endroit idéal.

Pendant ce temps le reste du groupe s’est installé dans les cabanes de chasseurs, ce qui permet de faire sécher les vêtements trempés de l’équipe de reconnaissance.

De retour au camp, Georges, T8aminik et Marie-Jo préparent le castor qui sera cuit au feu de bois.

Nous resterons bloqués pendant deux jours par la météo qui empêche toute forme de navigation en canoë sur la rivière Harricana. Mais nous utiliserons ce temps pour recevoir des enseignements sur la philosophie et la spiritualité algonquine et aussi sur la cuisine de la forêt.

Le départ vers le camp de base.

Enfin ! La rivière et la nature acceptent que nous mettions nos frêles embarcations à l’eau

En route pour plusieurs heures d’une fantastique navigation !

Un accostage et une petite pose dans une cabane sur la rive nous permet de nous délester de nos gilets de sauvetage et de poser les machettes qui seront bien utiles tout au long de notre séjour en forêt.

Il faut être très prudent avec l’équilibre des canoés. Le moindre geste maladroit peut tout faire basculer et même les plus aguerris s’y laissent encore prendre.

Un feu rapidement allumé séchera tout ça et nous permettra de cuire le repas de midi

Une petite pose chez les castors

Le futur camp est enfin en vue.

Nous nous installons dans l’archétype de la cabane au Canada.

Rapidement les travaux de bucheronnage vont bon train pendant que le repas du soir se prépare.

La nuit va bientôt tomber sur le camp, il est temps pour T8aminik et son équipe de rejoindre leur camp sur l’autre berge de la rivière.

De la terrasse de notre cabane, nous pouvons savourer un magnifique coucher de soleil

Le jour se lève sur le camp. Aujourd’hui nous allons améliorer notre installation en construisant des abris traditionnels algonquins dans la forêt. 


Chez les Algonquins, les rôles et les tâches entre les hommes et les femmes sont soigneusement identifiés et répartis. Ce rapport homme / femme, mutuellement respectueux, sera pour beaucoup, un des enseignements majeur de ce voyage.

L’abri est constitué de longues perches (Il faut dire que le bois ne manque pas dans cet environnement) recouvertes d’un tressage serré de conifères. Un réflecteur est construit devant l’entrée de l’abri pour diriger la chaleur du feu qui sera entretenu toute la nuit par binômes.

Pendant toute la durée du séjour nos déplacements se feront en canoé car la densité de cette forêt primaire est telle qu’il est très difficile de s’y déplacer.C’est pour cela que la nation algonquine est un peuple nomade qui se déplaçait surtout autrefois à bord de canoés.

La nuit est tombée pour une première nuit de test dans les abris traditionnels

Toute la nuit les binômes vont se relayer pour entretenir le feu

Ce matin après le petit déjeuner aux « bleuets » ce sera le bon moment pour aller poser le filet dans la rivière. Nous comptons sur la pêche pour compléter notre ravitaillement

T8aminik attache la pierre qui lestera le filet au fond de l’Harricana.

Espérons que la prise sera bonne, mais T8aminik a des doutes car le niveau de la rivière a monté de plus d’un mètre, à cause des fortes pluies qui ont compromis notre départ sur la rivière il y a quelques jours.

Nous consacrerons ensuite une partie de la journée à apprendre comment poser des collets et comment nous repérer dans cette forêt où il si facile de se perdre rapidement tant elle est dense.

Le castor est passé par là.

Au fil du temps nous apprivoisons de plus en plus notre nouvelle façon de vivre simplement.

Bredouille !
La rivière n’a rien donné et c’est bien ce que T8amink craignait

Encore une journée bien dense qui se termine, chacun rejoint son campement et s’installe pour la nuit .

Ce matin T8amink pratique un rituel avec son tambour sacré, Le Teiwegan. Le tambour sacré, que l'on appelle « Teiwegan » est constitué d'une peau de bête sur un cadre de bois. Il symbolise un cœur formé par l'animal et l'arbre avec lequel a été fait ce tambour. La peau est tendue sur le cercle en bois par des liens également faits en peau constituant ainsi un cordon ombilical reliant le cœur de l'humain au cœur du monde spirituel, animal et végétal tout comme le cœur de l'enfant est relié au cœur de la mère. Ce dont il s'agit dans ce rituel, c'est donc de relier l'humain à la terre-mère, à ses origines, comme disent les amérindiens, à ses frères et sœurs animaux et plantes, aux esprits. Par l'intermédiaire d'un cordon ombilical, il s'agit donc de retisser des liens souvent rompus avec la nature et l’univers.

La rivière Harricana semble avoir apprécié cette cérémonie et un beau « Doré » nous attend dans le filet de T8aminik

Cette prise va s’avérer délicieuse

Les restes du « Doré » seront soigneusement remis à la rivière pour nourrir d’autres poissons. Ce respect de l’équilibre de la nature et d’une prédation très parcimonieuse et respectueuse sera aussi une grande leçon de ce voyage.

Le Voyage se termine et c’est par un temps magnifique que nous ferons la navigation de retour, mais cette fois à contre le courant.

Cela sent vraiment la fin mais ce soir nous camperons encore au bord de la rivière dans les tipis

Il fait froid et humide ce soir, nous en profiterons donc pour tester, cette nuit, la technique des feux à l’intérieur des tipis.

Une journée complète de route nous attend. Mais le voyage ne se termine pas pour autant ici car le dernier évènement fort nous attend dès que nous serons de retour au Val-des-Lacs : Le MATATO !

La sweat lodge ou « Matato » chez les Algonquins

Texte d'après Bruno Clavier et dessins d'Amélie Clavier

La tente à sudation, est un des plus anciens chez les peuples indiens d'Amérique du nord. La tente à sudation, est une tente circulaire faite le plus souvent à partir de seize arceaux de bois en saule ou en noisetier, sur lesquels sont posées traditionnellement des peaux de bêtes ou des couvertures. Au milieu de cette tente circulaire, est creusé dans le sol, un trou également circulaire qui, chez les algonquins, représente le nombril de la terre mère. C'est dans ce trou que sont disposées des pierres chauffées au préalable dans un feu sacré situé à distance comme vous pouvez le voir sur le dessin, ce feu étant lui-même dans un cercle. De l'eau est alors versée sur les pierres brûlantes, c'est le principe du sauna, sauf que là il s'agit d'un sauna spirituel. En effet, le feu sacré à l'extérieur représente le pôle masculin tandis que la tente à sudation, l'intérieur, représente le pôle féminin, et plus précisément l'utérus de la mère. Les deux pôles sont reliés chez les algonquins par un chemin de tabac. Le tabac sert à la connexion avec les esprits à qui on l'adresse en offrande, vous voyez qu'il fait lien entre les deux pôles.

A l'intérieur de la tente, les participants, tout le monde étant assis en cercle, forment un cordon ombilical collectif reliant le groupe au nombril de la terre mère. Dans ce nombril, sont entreposées un certain nombre de pierres qui sont considérées comme les grands-mères, les Koukoums, et les grands-pères, les Mushums, ce sont les ancêtres, nos ancêtres spirituels.

Pendant le rituel, chaque direction, l'est, sud, ouest, nord, et ses qualités sont invoquées, ce qui ouvre la connexion dans l'espace de ces quatre directions. Ainsi, chacun se relie dans le temps et dans l'espace, aux ancêtres, à la terre mère par les quatre directions mais il se relie aussi aux autres mondes, on pourrait dire au monde des esprits et notamment aux esprits animaux. Ce qui fait que la tente à sudation peut être considérée comme un demi-cercle sur la terre, dans lequel se trouve l'humain, connecté à un demi-cercle identique sous la terre dans lequel résident par exemple les esprits animaux avec lesquels cet humain va se relier, se connecter afin de se reconnecter à l'univers entier.

La guérison est engagée justement par cette connexion ou reconnexion aux autres mondes, notamment celui des esprits animaux mais aussi par la connexion avec les autres humains présents dans la tente tous reliés par un cordon ombilical à la terre mère.

Il y a donc une mise en lien de l'individu avec le collectif humain et avec les autres mondes. De plus, ce rituel met en relation le masculin et le féminin dans une harmonie parfaite car c'est bien le feu du masculin au dehors qui chauffant les pierres ancêtres permet au pouvoir de l'eau, le pouvoir de la femme, à l'intérieur de la loge, d'exercer sa médecine et la connexion avec la terre mère et les différents mondes. Ce mouvement allant du masculin ou féminin, se retrouve chez les taoistes chinois, dans le même esprit d'harmonie Yin Yang, féminin, masculin, que l'on retrouve à travers cette phrase de Lao Tseu dans le Tao Te King : «Connais le masculin, adhère au féminin » ou bien encore celle-ci : «Au sein de la femelle obscure réside la racine de l'univers ».

Le voyage se termine. Les participants sont ravis d’avoir vécu cette expérience inédite ...

... et les organisateurs d’avoir réussi leur pari. Pierre Ramaut – T8aminik Rankin – Marie-Josée Tardif – Eric Bonnem

Nous prenons rendez-vous avec vous en Mongolie, pour la suite de cette fabuleuse expérience en juillet 2015.

A suivre donc …